[Visio-conférence] Yann-Philippe Tastevin, anthropologue des techniques, co-rédacteur en chef de la revue Techniques&Culture
Low Tech / Wild Tech
Parcours Salle des fêtes, cycle 1, design
Into the Wild-tech : Lave-mains, bio-capteurs et mécanismes à la Rube Goldberg
La planète, criblée de réseaux en tout genre et de mécanismes alliant le high et le low, est aujourd’hui le terrain pour une multitude d’expériences de liaison, où tout peut potentiellement devenir lié, liable ou liant, au risque du burlesque. Je propose de réfléchir à ces agencements qui ensauvagent et bousculent la partition traditionnelle low tech / high tech, et à travers elle, nombre de dualismes dont toute l’anthropologie contemporaine nous montre les limites. L’objectif de mes enquêtes n’est pas tant de cataloguer les formes de résistance ou d’invention, que de poser les bases d’une cartographie alternative des modes d’assemblage à l’échelle planétaire, et de donner des outils pour précisément mieux penser ces manières de faire qui échappent à toute classification : la Wild-tech !
Chemins de traverse, bifurcations et lignes de fuite :
• Partout sur la planète, l’expérimentation, l’intelligence d’adaptation et l’ingéniosité du détournement pour répondre à divers besoins ou motivations, sont les valeurs les plus partagées. Un machin que j’ai rencontré à Dakar nous semble pouvoir jouer un rôle décisif dans le moment où l’on vit. Un objet permettant avec très peu d’eau de se laver les mains au savon sans rien toucher avec les doigts. Ce point d’eau autonome et économe prend aujourd’hui un sens nouveau dans les lieux touchés par l’épidémie. S’esquisse ici une topologie des formes de l’innovation technique qui ne repose plus sur des critères de sophistication ou de « traditionalité » des processus de fabrication ; mais sur leur capacité de recomposition dans des contextes marqués par l’hétérogénéité des besoins et des enjeux.
• Il y a des choses qui sont là, dont on ne sait pas quoi faire, alors on les « monitore » ! A partir d’expériences de biosurveillance scientifique et citoyenne, je montrerai comment des formes nouvelles de vigilance distribuée, s’exerçant « avec » et à partir de la perspective de petits êtres littéralement attachés à leur environnement, induisent une sorte de « compagnonnage » qui transforme non seulement les connaissances sur la pollution, mais aussi le regard porté sur le territoire, obligeant ceux qui s’y adonnent, scientifiques et citoyens, à réfléchir « ensemble » aux conditions de son habitabilité.
• Les mécanismes à la Rube Goldberg (RGM) nés dans l’imaginaire du dessinateur du même nom dans les années 1930 sont des « réactions en chaîne » délibérément absurdes et visent à compliquer au maximum les opérations pour effectuer des tâches simples comme par exemple : « enfoncer un clou », en multipliant les étapes, les matériaux et les connexions possibles. Utilités à des fins divertissantes ou bien réflexives, tels des miroirs à peine déformants des technologies et de leurs usages, les RGM constituent des théâtres d'objets liés par des réactions en chaîne donnant lieu à des variations infinies. Nous nous interrogerons ici sur la capacité des RGMs à proposer une lecture du monde (à priori sans recherche d’efficacité ni de résolution).
Yann Philippe Tastevin
Anthropologue au CNRS (Laboratoire International de recherche Environnement, Santé, Sociétés à l’université de Dakar), ses travaux portent sur les processus d’innovation low-tech et les circulations globalisées des technologies. Il est l’auteur du dossier « Low tech ? Wild tech ! » dans la revue Techniques & culture. Il a été commissaire de l’exposition « Vies d’Ordures. De l’économie des déchets et du recyclage en Méditerranée » au Musée des Civilisation de l’Europe et de la Méditerranée.
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